EDUCATION A LA PAIX CONTRE EDUCATION PARANOÏAQUE
Lutter contre la violence pendant l'enfance
Quand on parle de violence pendant l'enfance, on ne pense évidemment qu'à la violence dont les enfants pourraient être victimes. On ne se rend pas compte ce faisant que la violence exercée entre les enfants est également importante et mérite qu'on s'y intéresse, ni que la violence, en tant que processus circule dans l'ensemble de l'environnement éducatif, d'une façon systémique. En soi la violence ressort davantage d'une interaction que d'une simple action.
Comment comprendre la violence scolaire si on n'accepte pas, au moins, de prendre pour une part en compte la violence de l'institution? Comment comprendre la violence de certains parents si on n'accepte pas de considérer ce qui leur fait également violence? C'est pourquoi, il me paraît plus juste de parler de violence pendant l'enfance plutôt que de violence infantile ou parentale, exclusivement.
Aujourd'hui, il faut bien reconnaître que de nombreux enfants vivent leurs rapports avec l'environnement extérieur dans un climat de violence, souvent retenue mais omniprésente.
Prévenus sans arrêt contre tous les dangers et surtout les plus rares, les enfants sont élevés, par leurs parents (et même malheureusement par les institutions) sur la défensive.
On sépare ainsi sans arrêt dans la cour de récréation des enfants qui se battent et qui affirment obéir à une consigne parentale de "ne pas se laisser faire". " Ne pas se laisser faire" semble devenu le mot d'ordre dangereux de tous ceux qui fragilisent la paix sociale. On n'expliquera jamais assez comment derrière cette consigne simple il y a la fois l'abandon de toute idée de justice et un immense sentiment… d'injustice.
"Ne pas se laisser faire"
"Ne pas se laisser faire" suppose en effet que la Justice n'existe pas et qu'on est seul dans la nécessité et dans le devoir de se défendre dans un monde ressenti comme hostile. Derrière cette attitude, il y a d'abord un immense sentiment de solitude. On est tout seul toujours et partout et même surtout quand on est… en société. La solitude se décline ainsi face aux autres; la fréquentation de la collectivité loin de me sortir de mon isolement m'y replonge davantage et même me met en danger.
Bien entendu, les familles dans lesquelles règnent cette "hygiène de vie" ont a priori une idée favorable d'elles mêmes: "Oh là là, dehors c'est la jungle; il n'y a que parmi nous que notre enfant est en sécurité". Mais elles témoignent également à quel point elles se retranchent et s'isolent et comment ce retranchement et cet isolement aboutit paradoxalement à ne jamais réussir à se décoller du voisinage ni à réussir à sortir du conflit avec ce dernier.
"Ne pas se laisser faire" c'est aussi refuser de prendre la vie comme elle vient et de se fermer à la rencontre et à l'étonnement; en effet, si on ne se laisse pas faire, c'est bien sûr parce qu'on sait déjà où nous mènent toutes choses. Les parents sans en avoir conscience, transmettent ainsi à leurs enfants leur désespoir dans la vie avec des conséquences désastreuses.
Paradoxalement, cette morale qui touche très souvent à la loi du Talion, est aussi une morale du désespoir: on aura beau ne pas se laisser faire, on se fera quand même avoir… Seule cette certitude malheureuse même si elle n'est pas dite peut expliquer quelle énergie du désespoir justement est mobilisée par ce principe, au point de rendre celui qui s'y réfère sourd à tout argument contraire et à considérer toute entreprise de modération comme une persécution supplémentaire.
Bien entendu cette intention a-priori et préalablement déclarée est porteuse par nature de l'injustice contre laquelle elle prétendait justement se lever. Car la violence de celui qui ne veut pas ou plus se laisser faire est une violence qui n'est pas adressée à l'interlocuteur actuel mais à la somme de tous les interlocuteurs passés avec lesquels on a eu l'impression justement de s'être laissés faire. Il s'agit donc d'une sur-violence en ce sens que la violence déclenchée n'est pas une simple réponse à l'agression présente mais apporte au contraire une charge supplémentaire qui va relancer le processus tout en laissant à chacun des deux protagonistes la possibilité de se représenter à soi même et aux autres comme pures victimes. Ainsi à une parole déplaisante succédera une insulte, puis un coup puis un autre et il deviendra très difficile au "juge de paix de service" de déterminer l'agression initiale. Il semble en effet ne jamais y avoir eu de début à cette chaîne.
Quand l'enfant est premier, la Justice est seconde
Dans le cas des enfants, ces processus sont d'autant plus délicats à réfuter que les vraies causes sont absentes; ce sont en effet les parents qui se sont construits de telles défenses, en fonction de leur propre expérience de la vie et qui les projettent tout naturellement sur les enfants. Sans le savoir, ils investissent leurs enfants de la mission d'être bien plus violents qu'eux mêmes l'ont jamais été. Ils ont raison de les y pousser, estiment-ils, puisque c'est dans leur intérêt et que rien au monde ne vaut plus que l'intérêt de l'enfant. Curieusement ces parents se sentent confortés dans cette attitude de soutien démesuré et d'engagement guerrier auprès de leur enfant, par l'ensemble du contexte social et médiatique qui fait du petit d'homme un être jouissant d'un statut exceptionnel et toujours à protéger.
On voit ici comment une société qui fait de l'enfance une valeur absolue risque en retour de faire de la justice une valeur secondaire!
Les enfants sont souvent embarrassés par les recommandations des adultes
Bien entendu, les enfants ne demandent ni tant de protections ni tant de préventions. Ils vivent finalement ce climat qui est organisé autour d'eux pour ce qu'il est, c'est à dire une entrave à leur vie quotidienne et pour leur socialisation.
Ils ne penchent pas naturellement vers l'entretien de haines durables ou de vengeances "qui se mangent froides". La brutalité des menaces qu'ils s'échangent à tout bout de champ ( "T'es mort!") n'a d'égal que la rapidité avec laquelle les rancœurs sont chassées par d'autres sentiments. Certes, les enfants ont parfois des ennemis durables et entretiennent des relations détestables à long terme. Mais dans ce dernier cas, il est fréquent qu'une intervention parentale d'un côté ou de l'autre ait motivé une telle cristallisation des relations, empêchant une résolution spontanée et normale de la crise.
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